Le Pyréolophore : un nouveau principe de moteur

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C’est à Nice que Claude et Nicéphore Niépce se livrèrent à leurs premiers travaux d’inventeurs. Ils s’intéressèrent alors à la mise au point d’un nouveau principe de moteur fondé sur l’utilisation de la dilatation de l’air au cours d’une explosion. Eurent-ils connaissance des travaux de Huygens (1625-1695) qui avait déjà utilisé l’air dilaté par une explosion de poudre à canon dans un cylindre pour mouvoir un piston ?

Paris, 9 novembre 1806. Présentation, descriptif et plans du moteur inventé par Claude et Nicéphore.
Paris, 9 novembre 1806. Présentation, descriptif et plans du moteur inventé par Claude et Nicéphore.

Les frères Niépce employèrent d’abord comme explosif une poudre constituée des spores d’une plante, le lycopode , puis ils utilisèrent du charbon mélangé à de la résine. Ils inventèrent ainsi le premier moteur à combustion interne qu’ils nommèrent pyréolophore (Pyr : feu ; eolo : vent et phore : je porte/produis).

Le rapport de 1806 sur l’invention du pyréolophore

En 1806, ils rédigent un premier rapport. Une commission de l’Institut National, autrement dit l’Académie des Sciences chargée d’examiner l’invention rend son verdict :
« Le combustible employé ordinairement par MM. Niépce est le Lycopode, comme étant de la combustion la plus vive et la plus facile ; mais comme cette matière est coûteuse, ils la remplaceraient en grand par la houille pulvérisée et mélangée au besoin avec une très-petite portion de résine, ce qui réussit très-bien, ainsi que nous nous en sommes assurés par plusieurs expériences. Dans l’appareil de MM. Niépce aucune portion du calorique n’est dissipée d’avance ; la force mouvante est un produit instantané, et tout l’effet du combustible est employé à produire la dilatation qui sert de force mouvante.
Suivant une autre expérience, la machine placée sur un bateau qui présentait une proue d’environ deux pieds de largeur sur trois pieds de hauteur, réduite dans la partie submergée, et pesant environ neuf quintaux, a remonté la Saône par la seule action du principe moteur, avec une vitesse plus grande que celle de la rivière dans le sens contraire ; la quantité de combustible employée étant d’environ cent vingt-cinq grains par minute, et le nombre de pulsations de douze ou treize dans le même temps. Les Commissaires pensent donc que la machine proposée sous le nom de Pyréolophore par MM. Niépce est ingénieuse, qu’elle peut devenir très-intéressante par ses résultats physiques et économiques, et qu’elle mérite l’approbation de la classe. »
Rapport de L. Carnot et C.L. Berthollet du 15 décembre 1806

Les frères Niépce avaient aussi procédé à quelques essais sur l’étang de Batterey, situé au milieu des Bois de la Charmée, à Saint-Loup de Varennes . Ils obtinrent ensuite un brevet pour une durée de dix ans. Celui-ci leur fut délivré par l’Empereur Napoléon. Il est daté du 20 juillet 1807.
Nicéphore et Claude continuèrent à améliorer leur pyréolophore. Le 24 décembre 1807, ils avertirent Lazare Carnot qu’ils avaient obtenu une poudre très inflammable en mélangeant une partie de résine avec neuf parties de houille. Mais en 1816 les progrès n’ont pas été suffisant pour que les Niépce puissent obtenir quelques subsides de leur invention. L’expiration du brevet approche et Claude décide de monter à Paris puis de se rendre en Angleterre dans l’espoir d’y exploiter le moteur.

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Premier plan du pyréolophore, dessiné par les frères Niépce. Source Archives INPI 

L’invention du moteur à essence

Claude se prépare à la construction d’un petit bateau devant être mu le pyréolophore. Nicéphore entreprend de nouvelles expériences sur le carburant . A la fin du mois de mai 1816, Claude avait eu l’idée d’un autre carburant, le charbon de pierre.
Mais dès le 2 juin 1816, Nicéphore écrit :« je suis charmé que le résultat de tes expériences sur l’inflammation du charbon de pierre, t’aient mis à même de connaître les inconvénients nombreux attachés à l’emploi de ce combustible, et t’aient donné l’idée heureuse de le remplacer par l’huile de pétrole blanche. […] je t’engage donc très fort à répéter plus en grand cette intéressante expérience ; car lorsqu’on verra qu’avec une faible consommation d’huile on obtient d’énormes bouffées de flamme, on en sera étonné et on reconnaîtra toute l’importance de notre découverte. »
L’huile de pétrole blanche s’apparente au kérosène que nous connaissons aussi sous le nom de pétrole lampant .
Dès le 8 juillet 1817, les essais de Claude se précisent comme le laisse entendre Nicéphore : « Si tu parviens, en effet à injecter l’huile de P. avec force afin que la vaporisation se fasse instantanément il est hors de doute, Mon cher ami, que tu obtiendras le résultat le plus satisfaisant. » C’est bel et bien le système d’injection de l’essence, tel que nous le connaissons dans nos moteurs actuels, que Claude est en train d’inventer et de mettre au point. Les frères Niépce sont, en effet, reconnus aujourd’hui comme étant les inventeurs du principe de l’injection de l’essence.

Coupe longitudinale du bateau mu par le pyréolophore, dessiné par les frères Niépce
Coupe longitudinale du bateau mu par le pyréolophore, dessiné par les frères Niépce. Source Archives INPI 

Découverte de l’injection

Les essais sont prometteurs. Le 16 juillet, Nicéphore écrit : « tu viens de vérifier à nouveau, Mon cher ami, que le Lycopode, la substance concrète la plus éminemment inflammable, produit cependant moins de flamme qu’une quantité donnée d’huile de P. réduite en vapeur. »
Nicéphore fait plusieurs tentatives. Il vaporise l’essence en portant au rouge l’embout du tuyau par lequel elle s’écoule, mais les résultats sont peu reproductibles. Il essaie alors une nouvelle technique pour obtenir l’huile divisée comme la poudre de lycopode lors de l’inflammation. Il se munit d’abord un tuyau d’une vingtaine de centimètres de long et de sept millimètres de diamètre. Il le remplit d’eau sur environ trois centimètres puis, l’ayant porté à sa bouche, souffle violemment. L’eau sort du tube en un jet constitué de fines gouttelettes, donc bien divisée comme une poudre. Il améliore ce résultat en aplatissant l’orifice de sortie en un biseau assez court rappelant une anche de hautbois. Il répète ensuite l’expérience en remplaçant l’eau par de l’alcool et en garnissant l’orifice de sortie d’une mèche allumée, destinée à enflammer les gouttelettes de liquide.

C’est la réussite : « l’alcool s’enflamma en détonant comme le lycopode », racontera-t-il. Nicéphore vient de découvrir qu’il faut enflammer le liquide à froid et non sous forme de vapeur, comme c’était le cas avec les tuyaux chauffés qu’il utilisait précédemment. Le mélange d’air et de minuscules gouttelettes de liquide inflammable devenait alors explosif. Il ne restait plus qu’à expérimenter l’huile de pétrole blanche. Nicéphore fit fabriquer un tuyau de neuf millimètres de diamètre et coudé à angle droit, afin de ne plus avoir à utiliser la langue en guise de soupape. La partie par laquelle il devait souffler mesurait environ soixante-six centimètres et celle par où devait s’échapper l’huile était d’environ trente-trois centimètres. La sortie était aplatie comme dans l’expérience précédente.
Le succès fut total : « La flamme, vu la petite quantité d’huile employée est énorme ; elle est vive, instantanée, et détonne comme le lycopode », raconte Nicéphore qui ajoute : « les résultats que je viens d’obtenir ont ranimé mon courage et m’ont pleinement satisfait. » Plus la quantité d’huile de pétrole utilisée était faible, plus l’explosion était puissante.
Tout y était : rendement et économie. Il interrompit alors tout essai tant il était persuadé des performances de ce combustible

L’avis de Sadi Carnot

Le physicien Sadi Carnot
Le physicien Sadi Carnot

Quelques années plus tard, en 1824, Sadi Carnot (1796-1832), fils de Lazare Carnot (1753-1823), rédigera un ouvrage intitulé Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance, dans lequel il fera un commentaire sur le moteur des frères Niépce :
« Parmi les premières tentatives faites pour développer la puissance motrice du feu par l’intermédiaire de l’air atmosphérique, on doit distinguer celles de MM. Niepce, qui ont eu lieu en France il y a plusieurs années, au moyen d’un appareil nommé par les inventeurs pyréolophore. Voici en quoi consistait à peu près cet appareil : c’était un cylindre, muni d’un piston, où l’air atmosphérique était introduit à la densité ordinaire. L’on y projetait une matière très-combustible, réduite à un grand état de ténuité, et qui restait un moment en suspension dans l’air, puis on y mettait le feu. L’inflammation produisait à peu près le même effet que si le fluide élastique eût été un mélange d’air et de gaz combustible, d’air et d’hydrogène carboné, par exemple ; il y avait une sorte d’explosion et une dilatation subite du fluide élastique, dilatation que l’on mettait à profit en la faisant agir tout entière contre le piston. Celui-ci prenait un mouvement d’une amplitude quelconque, et la puissance motrice se trouvait ainsi réalisée. Rien n’empêchait ensuite de renouveler l’air et de recommencer une opération semblable à la première.
Cette machine, fort ingénieuse et intéressante surtout par la nouveauté de son principe, péchait par un point capital. La matière dont on faisait usage comme combustible (c’était la poussière de lycopode, employée à produire les flammes sur nos théatres) était trop chère pour que tout avantage ne disparût pas par cette cause ; et malheureusement il était difficile d’employer un combustible de prix modéré, car il fallait un corps en poudre très-fine, dont l’inflammation fût prompte, facile à propager, et laissât peu ou point de cendres. »

Sadi Carnot ne se cantonne qu’au texte du premier brevet et semble ignorer les travaux ultérieurs des frères Niépce avec l’huile de pétrole blanche.
La note de Carnot très elliptique, prête à confusion. Il est vrai que les frères Niépce avaient démontré la puissance de leur nouveau principe moteur en l’appliquant à un piston (« NOTICE » du 09/11/1806) ; qu’ils avaient envisagé de l’appliquer à « une pompe comme dans les machines à feu » (« NOTE » lue à l’Institut le 17/11/1806), mais l’une des spécificités majeures du pyréolophore était de fonctionner par réaction directe. »
C’est notamment ce qui, en 1925, soit un siècle plus tard, fera l’admiration de Pierre Clerget et Auguste Rateau. (Aller page 905). Erratum. Page 906, il faut lire 1807 au lieu de 1808.

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En partenariat avec l’Institut Image de l’ENSAM (Ecole Nationale Supérieure des Arts et Métiers) à Chalon sur Saône, Maison Nicéphore Niépce présente la réalisation d’une vidéo 3D reconstituant le fonctionnement interne du Pyréolophore. (création Hadrien Duhamel – supervision Jean-Louis Bruley)

bicentenaire-exposition-pyreolophore    > Voir l’exposition dans le musée

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